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occitan-touareg

/Guadeloupe/Martinique/Guyane/Avenir des Antilles, dites "françaises"

3 Juillet 2009 , Rédigé par Papadoc Publié dans #peuples(bretons-catalans-basques-etc)

Question ethnolinguistique et avenir des Antilles dites françaises
par Jean-Pierre Hilaire
sur Lo Lugarn n° 97/98
La révolte récente contre la vie chère en Guadeloupe et dans une moindre mesure à la Martinique et en Guyane a remis au premier plan de l’actualité les questions liées à l’évolution des Antilles juridiquement françaises.
A cet égard, il est utile de citer l’analyse que faisait Jean-Louis Veyrac dans son texte Amérique Latine, situation Générale (1992) :
« Les Noirs, généralement au bas de l'échelle sociale dans les pays où ils ne sont pas majoritaires, manifestent leur désir d'égalité et de justice. Ils auront à résoudre une équation difficile qui est celle de leur autonomie nationale sans laquelle ils ne peuvent compter sur une pleine émancipation. Cette autonomie implique une territorialisation de leurs revendications et un retour aux racines culturelles africaines, voie qui devrait leur être plus accessible qu'aux Afro-américains, du fait d'une meilleure conservation de leur patrimoine culturel ancestral. »
L’autonomie voire l’indépendance peut s’appuyer en effet en Guyane, à la Martinique, à la Guadeloupe sur les racines culturelles qui se trouvent en Afrique de l’Ouest du fait de l’esclavage pratiqué par les Européens dans le cadre de ce qu’on a appelé le commerce triangulaire.
Si on examine la proposition ci-dessus de Jean-Louis Veyrac de carte ethnique de cette zone, on constate qu’à l’exception de Puerto Rico considéré comme espagnol, de la Dominique restituée à ses primo-occupants les Indiens Arawak, toutes les îles des Antilles qu’elles soient indépendantes comme Haïti et la Jamaïque et bien d’autres ou sous administration française comme la Guadeloupe et la Martinique avec des langues officielles différentes : anglais et français sont attribuées aux Kwa ainsi qu’une frange importante de la côte colombienne et la ville de Panama et ses alentours.
Mais quels sont les peuples qui habitaient les Antilles avant l’arrivée des colons européens à la fin du 15ème siècle ?
Les Amérindiens
Les Caribs (qui ont donné leur nom aux Caraïbes) et les Arawaks peuplaient les Antilles à l’arrivée de Christophe Colomb.
Les Arawaks étaient arrivés de Guyane et du Vénézuela vers 300 avant notre ère. Migrants de l'Orénoque, les indiens Karibs, féroces guerriers cannibales (l’espagnol canibal est une altération de kalina, autre nom des Caribs) et excellents navigateurs conquirent toutes les petites Antilles en 600 en exterminant sur leur passage les Arawaks dont ils épargnèrent les femmes.
Les premiers colons espagnols eurent ainsi la surprise d'entendre parler deux langues distinctes chez les Amérindiens : le carib parlé par les hommes et l'arawak par les femmes.
Les chroniqueurs disaient des Caribs qu’ils étaient brutaux et cannibales. En fait ils ne reconnaissaient comme pouvoir supérieur que l’ordre guerrier, c’est à dire le triomphe sur l’adversaire, et ils les mangeaient pour absorber leur pouvoir.
Les Caribs n’ont jamais accepté la domination des Européens, encore moins la conversion à leur religion. Les 150 000 à 300 000 Amérindiens qui vivaient dans les Petites Antilles à l’arrivée de Christophe Colomb avaient disparu en général de manière violente en un siècle et demi.
On peut citer deux massacres, un en 1636 à la Guadeloupe et l’autre en 1657 à la Martinique.
La colonisation française
Au XVIIe siècle, le cardinal de Richelieu autorisa la Compagnie des Isles d’Amérique à coloniser les Antilles.
Les Français firent la guerre aux Caribs qui furent aussi décimés par la famine et les maladies.
C’est vers 1644 que débuta la culture de la canne à sucre. Celle-ci nécessitant une importante main d’oeuvre, les Français firent comme les Espagnols et importèrent des esclaves noirs originaires d’Afrique.
L’esclavage
Plus de 700 000 esclaves furent déportés aux Antilles françaises entre 1673 et 1789, dont 600 000 juste à Saint- Domingue où ils furent vendus aux Espagnols; les autres furent envoyés en Martinique, en Guadeloupe, à Saint- Christophe (devenu aujourd’hui Saint-Kitts-et-Nevis).
On estime que, entre 1650 et 1850, la France aurait importé 290 000 esclaves en Guadeloupe.
Par contre, au moment de la suppression de l’esclavage en juin 1848, la Guyane ne comptait que quelque 12 500 esclaves.
La colonisation française échoua, la plupart des colons blancs n’ayant pas survécu en raison des conditions climatiques. De ce fait, les Africains déracinés constituèrent très vite la majorité de la population guyanaise.
D’où venaient ces esclaves ?
Ils venaient de cette partie de l’Afrique de l’Ouest, englobant aujourd’hui plusieurs états de la Côte d’Ivoire au Nigéria.
Fontan les regroupe sous le vocable de peuple kwa.
Les Kwas
La carte ethnique de l’Afrique de l’Ouest nous montre un peuple kwa éparpillé sur plusieurs états : le sud-est de la Côte d’Ivoire, le Ghana, le Togo, le Bénin et le sud-ouest du Nigéria.
Le mot kwa signifie peuple dans ce territoire.
Les linguistes parlent de langues kwa au pluriel, l’ewé, le fon, le twi, le fanti, l’ashanti, l’agni, le baoulé, le yorouba et l’ibo qui ont la particularité d’être tonales. Quel est le rapport entre les Kwas d’Afrique et les Antilles ?
Les Antillais d’aujourd’hui parlent-ils une version des langues kwa de la même manière que les Brésiliens parlent une version américaine du portugais de la métropole?
Le créole
Poser cette question c’est poser la question de la nature de la véritable langue vernaculaire actuelle des Antillais.
La réponse est le créole que Michel Malherbe dans son livre "Les Langages de l’Humanité"(1) définit ainsi :
« Les pidgins et les créoles ont en commun d’être des langues constituées à un moment de l’histoire pour les besoins de communication de personnes d’origines diverses. Mais alors qu’un pidgin n’est utilisé que dans les relations entre gens qui conservent leur langue au sein de la famille, le créole prend la place de langues préexistantes au point de devenir la langue maternelle d’une population. On peut donc dire qu’un créole est un pidgin qui a réussi à éliminer la trace des langues originales de ses locuteurs …
Le créole est un phénomène linguistique d’importance considérable. Un créole se forme quand des populations d’origines diverses sont appelées à vivre ensemble sur une période de temps telle que leur langue de communication, initialement un pidgin, devient une langue maternelle. ..
Le créole le plus important est le créole français des Antilles ou de l’Océan indien. Il s’agit en fait du même créole malgré la distance et quelques petites différences de vocabulaire…
Le moins qu’on puisse dire c’est que peu a été fait pour faciliter l’éclosion de la personnalité culturelle créole et qu’un certain malaise des Antilles n’y est peut-être pas étranger.
Le créole est parfaitement incompréhensible à qui n’en a pas appris les bases. .. Les temps du verbe se marquent, comme dans presque toutes les langues, à verbe invariable, par des « préverbes » qui indiquent le temps de ce verbe : ka marque le présent continu, té le passé, ke le futur et teke, par exemple, le conditionnel.
 On dit ainsi : i ka vini : il vient ; i ke vini : il viendra.
La parenté de cette structure grammaticale du créole avec les langues africaines du golfe de Guinée s’explique aisément par les zones de traite à la période de l’esclavage. Il reste d’ailleurs dans le vocabulaire créole quelques dizaines de mots d’origine indiscutablement africaine. »
Le créole des Antilles françaises est donc un code linguistique autonome de communication avec des structures syntaxiques et une phonétique africaines (proches de l’ewé) et une base lexicale française pour l’essentiel.
Cependant, il semble qu’il y ait plusieurs niveaux de créole et que le créole utilisé dans les cérémonies vaudous, surtout en Haïti mais pas exclusivement, soit lexicalement proche de ses origines africaines. Considérer le créole comme séparé de la langue souche, le français dans le cas qui nous occupe, ne paraît pas plus justifié que de considérer le picard, le gallo et le berrichon comme des langues à part entière.
Origine du Vaudou
Le vaudou est né de la rencontre des cultes traditionnels des dieux yorubas et des divinités fon et ewé, lors de la création puis l'expansion du royaume fon d'Abomey aux XVIIe et XVIIIe siècles.
Le vaudou est le fondement culturel des peuples qui sont issus par migrations successives de Tado au Togo, les Adja (dont les fons, les Gouns, les Ewé... et dans une certaine mesure les Yoruba ...)
Vaudou (que l'on prononce vodoun) est l'adaptation par le Fon d'un mot yoruba signifiant « dieu ».
Le vaudou désigne donc l'ensemble des dieux ou des forces invisibles dont les hommes essaient de se concilier la puissance ou la bienveillance.
Il est l'affirmation d'un monde surnaturel, mais aussi l'ensemble des procédures permettant d'entrer en relation avec celui-ci.
En Haïti, le Vaudou mélange Vaudou d'Afrique de l'Ouest et folklore religieux chrétien.
Religion des esclaves, le Vaudou a eu une grande importance dans leurs révoltes (voir Cérémonie de Bois- Caïman, dans leur émancipation), et conserve aujourd'hui une importance politique non négligeable.
Les Antilles sont-elles françaises ?
Le Parti de la Nation Occitane ne considère ni la Guyane, ni la Guadeloupe, ni la Martinique comme des territoires ethno-culturellement français.
La Réunion dans l’Océan indien est un cas particulier dans la mesure où l’île longtemps inhabitée n’a été que récemment et durablement occupée par les Français.
La population des Antilles françaises et de la Guyane est majoritairement noire et parle une forme de créole comme outil de communication en même temps que le français dit standard, réservé aux rapports avec l’administration et les blancs métropolitains.
La Guyane
La population de la Guyane est d’environ 200000 habitants et se décompose, selon les chiffres les plus récents, comme suit : 37,9 % de noirs parlant le créole guyanais, 8 % parlant le créole haïtien et 6,4 % parlant le créole guadeloupéen. Les créolophones représentent donc une petite majorité de la population (auxquels il faudrait ajouter les Surinamiens soit 6,4%) par ailleurs très composite sur le plan ethnique du fait d’une forte immigration légale et illégale.
Les Amérindiens ne représentent que 3,9 % de la population sur une petite frange du territoire frontalière du Brésil.
La Martinique
La population de la Martinique est d’environ 400000 habitants. 87 % des Martiniquais sont des Noirs, des Mulâtres ou d’origine indienne ou asiatique.
Parmi la population noire, les Martiniquais constituent le groupe le plus important; ils sont suivis en nombre par les immigrants guadeloupéens, haïtiens, guyanais et réunionnais.
Tous les Martiniquais dits «de couleur» parlent le créole comme langue maternelle; s'ils sont nés en Martinique, ils parlent le créole martiniquais, sinon c'est, selon le cas, le créole guadeloupéen, le créole haïtien, le créole guyanais, etc.
La Guadeloupe

La Guadeloupe compte environ 450000 habitants dont 93 % de Noirs plus ou moins métissés (ce ne sont que des approximations car les statistiques ethniques sont taboues en France) et 4 % d’Asiatiques.
Quasiment tous ont le créole guadeloupéen comme langue maternelle et le français come deuxième langue.
Il est à remarquer que les blancs descendants des colons bretons, normands et poitevins qui vivent dans l’île de Terre-de-Haut, dont ils constituent 90 % de la population, parlent le créole eux aussi.
Le statut territorial
La Guadeloupe et la Martinique ont choisi en 2003 de rester des départements et des régions françaises suite au référendum du 7 décembre 2003 qui proposait la création d’une collectivité territoriales unique pour chacune.
Quant à la Guyane, c’est un département français avec des adaptations mineures. Dans les trois cas de figure, nous sommes encore loin d’une simple autonomie comme celle dont jouit Tahiti.
Perspectives
Cependant des mouvements autonomistes et indépendantistes de force inégale existent dans ces trois territoires et on a entendu pendant la longue grève en Guadeloupe cet hiver des slogans en créole comme :
« La gwadloup cé tan nou - la gwadloup cé pa ta yo ! (La Guadeloupe c'est à nous ! La Guadeloupe c'est pas à eux !)"
Tôt ou tard les peuples de ces territoires, suivant un mouvement historique inéluctable, s’émanciperont.
Ce n’est pas forcément pour demain parce qu’ils sont très assistés par l’Etat français qui a lui-même des intérêts géostratégiques dans cette zone de la planète qu’il entend conserver.
La Guadeloupe, la Martinique et la Guyane devront réorienter leurs économies et se fédérer pour assurer la viabilité de leur indépendance et un niveau de vie décent à leurs populations qui n’ont pas envie de renoncer aux avantages qu’offre la citoyenneté française. Et puisque le créole représente leur lien culturel et leurs racines africaines, la question de l’évolution de cette koiné des Antillais et de son statut se posera dans le cadre d’une éventuelle fédération indépendante des Antilles.
 Il y a deux solutions : ou bien le créole évoluera en parallèle avec le français qui lui fournit presque tout son lexique ou bien, par un phénomène de fierté ethnique et de retour aux origines, il pourra s’éloigner du français et se rapprocher des langues kwa des ancêtres.
Ce qui est sûr, c’est que pour l’instant, les Créoles ont du mal à se rattacher à leur berceau, l’Afrique.
Les retours volontaires en Afrique, il y en a eu, demeurent marginaux.
Pour la majorité des Antillais (Guyane comprise), l’identité se définit comme française d’origine africaine. Il n’y a pas de leur part de volonté d’africanisation du créole à ce jour. Mais qui sait ce que l’avenir nous réserve ? Ce sera aux Antillais d’en décider le moment venu.
On peut imaginer que dans le cadre d’une indépendance éventuelle, le créole aurait un statut officiel, le français continuant pour un temps de servir de langue de communication avec l’étranger au même titre que l’anglais, l’espagnol et le portugais, langues véhiculaires dans cette zone.
Note 1) Les Langages de l’Humanité, Michel Malherbe,
Seghers, Paris 1983, ISBN : 2-221-011243-7
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R
un article très interessant
Répondre
P
Merci !