Agen à l’heure occitane avec le poète JASMIN
Ci joint un texte de Nicole Faucon-Pellet suite à l'hommage rendu au poète occitan Jasmin dans sa ville d'Agen. Une fois encore merci à l'ensemble des bénévoles et des professionnels qui ont mis en valeur notre culture occitane dans ce monde où au nom de l'universel, la langue anglaise (et aussi française) s'efforcent de faire disparaître ce qui fait de notre planète une richesse : sa diversité culturelle.
Hommage à Jasmin,
Bain de culture oc à Agen,
Agen n’est pas seulement la capitale du pruneau et de la tulipe agenensis avec son œil noir cerclé de jaune au cœur de sa corolle, c’est aussi le fief de Jacques Boé dit Jasmin ou Jansemin, un grand poète né le 6 mars 1798 et mort le 4 octobre 1864.
Inaugurée en présence de Frédéric Mistral venu saluer « lou gran poueto dòu Miéjour » en oubliant l’insolence de Jasmin à l’égard du Félibrige, sa statue en bronze trône sur la place éponyme où il récita ce célèbre poème :
Per la nacioun, e per li fraire
Que rèston a l’oustau e que menon l’araire
E parlon voulountous la lengo dóu terraire
Es un triounfle aqueste jour
Vaqui perqué, ieu de Prouvènço
Vene di Prouvençau paga la redevènço
Au gran troubaire dóu Miejour...
(Pour la nation et pour les frères
Qui restent à la maison et conduisent la charrue,
Et parlent volontiers la langue du terroir,
C’est un triomphe que ce jour.
C’est pourquoi, moi, de Provence
Je viens des Provençaux payer le tribut
Au grand poète du Midi...)
Pour fêter dignement le 150° anniversaire de la disparition de Jasmin, le temps d’un week-end, il a été ressuscité par l’association Agenés Terra Occitana. Janine Grande la présidente, Jean-Pierre Hilaire le secrétaire et Géli Grande le trésorier, entourés de spécialistes, ont fait de cet hommage un grand moment.
Jacques Clouché, spécialiste de Jasmin, présentait son dernier ouvrage Jasmin, Dictionnaire Intime. Intarissable sur la question de la vie et de l’œuvre du grand poète, il a ranimé passionnément, au rythme d’anecdotes et de citations le déroulement de l’existence de l’homme humble, issu du peuple, du célèbre Agenais.
D’abord le petit séminaire, l’apprentissage de la lecture, de l’écriture et son corollaire : servir la messe. Jasmin est renvoyé pour avoir tenu l’échelle de la fille du proviseur… Il devient apprenti coiffeur, perruquier et poète. La Société Académique lui ouvre ses portes. Lecteur public, narrateur hors pair, Jasmin sillonne le pays pour des tournées dans le Midi, récite ses poèmes, conte, distribue ses revenus à des œuvres de bienfaisance. Luttant pour décrasser la langue gasconne souvent considérée comme un idiome vulgaire par ses contemporains, son livre Papillotos (le papier utilisé pour enrouler les cheveux avant de les friser) lui assurera une renommée nationale.
Son grand-père lui a certainement servi de modèle étant lui-même un spécialiste du charivari, celui-là même qui portait à la boutonnière un brin de jasmin.
Une balade jusqu’à l’ex salon de coiffure pour y découvrir la plaque rénovée de la Société Académique. Jean Rigouste de l’Escola Jansemin, mèstre de Gai Saber du Félibrige, un des trois fondateurs de l’école occitane d’été à Villeneuve sur Lot, fait un discours remarqué, au côté de la chorale « Andante » de Bon Encontre. Aujourd’hui le salon de coiffure est devenu « Jasmin sushi bar »…
Le point fort de cette manifestation, c’est la pièce au théâtre Ducourneau d’Agen. Christian Salès et sa troupe jouent « Le mystère Jasmin » crée pour l’occasion : magnifique prestation des acteurs qui s’expriment devant des images du métro parisien : Jasmin a donné son nom à une station de métro de la ligne 9 à Paris et également à l’institut médical Jasmin crée en 2011.
Le ténor Christian Moulié chante dans un silence religieux, Marceau Esquieu le conteur, parti sur sa lancée a bien du mal à arrêter sa prestation malgré son grand âge, Éric Roulet du groupe aquitain Gric de Prat m’enthousiasme en particulier avec son texte Le Petit Martin inspiré par le contact d’un de ses élèves.
Les mots sont insuffisants pour vous transcrire l’émotion suscitée par le Se Canto et par La Coupo Santo déclamé par le propre père de Christian Salés et repris en chœur par un public debout et vibrant.
Le lendemain, les ripatoulaïres, musiciens de rue gascon, escorté par le troubadour Éric de Prat, ont sillonné la ville d’Agen pour accompagner la prestation de Jean-Pierre Hilaire le long d’un parcours thématique bilingue occitan-français sur les traces du coiffeur poète.
Vêtu de la grande cape des pâtres agrémentée d’un grillon brodé sur la manche, avec leurs flutes à piston, leurs fifres ancêtres du picolo et leur envoûtante cornemuse, le groupe Grit de Prat, le grillon du pré, nous a guidé au 16 de la rue des Charretiers, maison natale de Jasmin, sur le gravier près de Garonne où passa le corps du grand-père qu’on transporte à l’hospice pour y mourir, à la maison d’Anne-Marie Barrère dite Manhonet l’épouse analphabète du perruquier, au palais de l’évêque, au lycée Jean Baptiste de Baudre, devant la boutique, la boutigola « Jasmin, coiffeur pour jeunes gens », à l’église Sainte Hilaire où le coiffeur s’est marié…
Jacques Boé, le perruquier poète, a fait son chemin. Charles Nodier l’introduit dans les salons littéraires parisiens, Louis Philippe, Sainte-Beuve, Ampère, Chateaubriand, Liszt, Lamartine, le reçoivent. Mais il ne reste jamais loin de sa terre natale. « Se París me rend fièr, Agen me rend urós » écrit-il.
Le dimanche, une messe en occitan dans la cathédrale d’Agen dirigée par l’abbé Passerat, Majoral du Félibrige, dont la voix puissante et gasconne tonnait sous les voûtes en particulier pour l’indémodable Se Canto en compagnie de Christian Moulié, repris par la foule nombreuse. La chorale Gadaloc (grope d’animacion diocesan agenes de liturgia occitana) en tenue traditionnelle a lancé quelques chansons. Une fois n’est pas coutume, un militant de la cause occitane, a déclamé la prière universelle en gascon… Et aussi Salme sur l’air du boier, l’Ave Maria de Schubert en occitan par Christian Moulié et l’hymne national occitan le Se Canta entonné par la foule en liesse…
Une taulejada, un banquet, au Saint-Jacques, arrosé d’une cuvée spéciale Jasmin clôturait les manifestations avec la magnifique prestation du conteur-chanteur, musicien Péire Boissière qui a collecté de nombreuses chansons populaires et inventorié toutes sortes d’instruments rudimentaires dont il se sert avec maestria. Le badoluc ou tambour à friction, une vessie de cochon collée sur un récipient ; la petite flute taillée dans des tiges de folle avoine ; le tempura et l’harmonium portatif qui viennent d’Inde ; la calebasse aux cordes d’acier ; la mâchoire d’âne dont les dent émettent un bruit particulier ; la belle cardère ou cabaret des oiseaux qui raffolent de l’eau stocké dans les petites coupes de ses feuilles soudées par deux, montée sur une espèce de fronde elle permet de battre la mesure…
Sur les berges de Garonne, la rive droite, affiche le parler gascon tandis que sur la rive gauche, on s’exprime en guyennais. Au moyen-âge Agen était une île, d’ailleurs le quartier des îles est là pour en attester.
Pour nous un brin de tourisme avec une balade sur le beau pont canal, sur la passerelle, au village de Madaillan où poussent d’abondance les pruniers d’ante, cerisiers, abricotier, pêchers et quelques truffiers.
Un tour à la fête de Layrac où les bandas, sur des airs de carnaval se défoulent en entraînant les spectateurs.
Agenés Terra Occitana pense déjà à une nouvelle manifestation en octobre à Vergt en Dordogne, là ou le généreux Jasmin a permis la réfection du clocher. Affaire à suivre donc.
J'ai bien envie d’y retourner.
NB : pour plus d'informations sur Jasmin voir le site JASMIN-AGEN