Niger - Voyage en pays touareg (6)
Niger - Voyage en pays touareg (6)
Mercredi 15 mars
Nous nous levons tôt. Les gens rient et parlent fort dès le matin. Dommage… J’aurais bien pris le temps de me réveiller dans le silence total du désert. Issyad s’est à demi « vidé » cette nuit. Estelle lui fait prendre du natron dans un verre d’eau.
Au campement d‘Abadengat, les femmes ont le visage maquillé au henné pour se protéger du soleil.
Le Caporal Ehambel collectionne les erreurs mécaniques : hier, il a pété le pare-brise du Toyota, aujourd’hui il a mal fermé le bouchon du radiateur dans lequel il faut remettre de l’eau et après un nouveau quart d’heure de piste, le filtre à gasoil est bouché ! Pendant qu’Issyad profite de la halte pour vomir à nouveau, Guilhem déballe nos outils car nos Touaregs n’ont rien pour réparer !
Je ramasse des galets ronds en forme d’œuf. Encore quelques kilos et le même Toyota crève ! Guilhem ressort le matériel. Il est midi passé et la chaleur est écrasante. Issyad m’explique que sur 12.000 combattants, 2020 sont intégrés dans l’armée, 260 attendent de l’être et 8000 restent à caser. Je ne sais pas où il prend ces chiffres et je pense qu’il exagère un peu.
Une heure après, nouvelle crevaison ! Je propose de passer devant et d’attendre à Arlit. Levée de boucliers ! Je prends mon mal en patience. Guilhem remonte une nouvelle fois sur la galerie, défait à nouveau les sangles, redescend à nouveau la pompe…
Nous arrivons à Arlit chez la sœur d’Adiza à trois heures de l’après-midi. La faim me tenaille ainsi que la mauvaise humeur. Je ne comprendrai jamais la vie en collectivité qui consiste à payer pour l’inconscience des partenaires. Le repas est servi à quatre heures. Issyad demande à Jean-Marc un traitement de cheval pour soigner sa crise de palu. Ce dernier n’a plus un seul cachet en sa possession car il a tout distribué au village de Sikerat ! Excédé, Jean-Marc lui donne quelques aspirines.
La maison est trop petite pour nous tous et les quatre « icoufars » sont installés dans une maison individuelle avec douche...
Un bar dans une rue proche de « notre maison » s’apprête à donner un concert. Les musiciens sont les Allemands que nous avons rencontrés en Algérie lorsque nous roulions en convoi ! Nous les retrouvons avec plaisir. Cependant nous avons décidé d’aller écouter Abdallah le chanteur Touareg. Nous allons au concert, mais le programme est modifié. Je suis assise sur un « banc torture » et je me déplace sans arrêt pour essayer d’enrayer un solide mal au dos. Les jeunes dansent : en majorité les hommes, mais aussi quelques femmes. Ils se trémoussent d’une manière très discrète et seuls les pieds bougent…
Nous dormons dans le salon. Il y a des gens partout : le gardien de la maison, le chauffeur et le neveu d’Issyad, et d’autres que je ne connais pas…
Jeudi 16 mars
Un gamin en jaune apporte du couscous pour le petit-déjeuner ! Car aujourd’hui c’est Tabaski ou Aid El Kébir ! la grande fête, en Arabe. Et le défilé commence… Aux environs de midi, péniblement, on cherche à faire le programme. Issyad envisage de soigner son palu, c’est-à-dire d’aller à l’hôpital pour trois séances de perfusion…
Nous sommes chez Tamasco et Amina un peu plus tard. Partout dans Arlit des moutons écartelés, aux pattes amarrées sur des montants de bois, grillent. Partout, des têtes décapitées et des corps ouverts sèchent au soleil torride. Le procédé est très astucieux. Angi, le Haoussa, installé à l’ombre de l’auvent, prépare les tripes. Les gens ont sorti les effets de fête. Beaucoup portent du bazin. Dentelles et froissements d’étoffe, chaleur accablante et nonchalance. Issyad affalé sur un matelas boit du coca et oublie d’aller à l’hôpital…
Amina m’emmène faire le tour du quartier. Je rase les murs, cherchant désespérément l’ombre. La grande mosquée du quartier est réservée à la prière du vendredi. Au retour, Tamasco m’enferme dans une chambre pour une sieste obligatoire. Je me laisse faire. Cela me fait toujours un précieux moment de solitude.
Quant un Touareg ne comprend pas, il dit « C’est comme si tu montrais le Coran à un âne ! »
Issyad et Adiza partent visiter la famille. Nous nous abstenons. Nous allons faire un tour, mais tout est fermé en ce jour férié. Je regarde de près le système « méchoui » des Touaregs, mais dès que je sors mon objectif une nuée de gamins s’interposent… À grands cris de « Cadeaux, donne- moi un cadeau » …
Nous allons finalement au bar en face de notre maison. Là un Haoussa me fait une sérénade. Une foule de femmes, canettes en main, aguichent les hommes… L’ambiance n’est plus du tout au respect.
Vendredi 17 mars
« La bave du crapaud n’atteint pas la blanche colombe … » dit Estelle, tandis que Jean-Marc me bouscule au saut du lit. La couleur du chèche signifie parfois une tendance ; ainsi le rouge symbolise les pros Rhissa, le bleu les amis de Mano Dayak et le jaune l’UFRA.
Quelqu’un prie dans la cour. Il y a cinq prières par jour : 7H, 14H, 17H, 19H et avant de se coucher.
Quelques courses pour le départ au campement de Tarenkit prévu après le repas. Inch Allah… « On mange et on quitte » dit Adiza. En fait, il faut aussi dire au revoir à Tamasco et nous prenons la route à trois heures et demie. Tarenkit est à 100 kilos d’Arlit, mais il faut compter 3H30 de piste. On croise des ânes chargés de charbon de bois.
Nous traversons le village d’Ikalanzaran où l’instituteur nous convie à un thé que nous refusons car le temps presse. L’école n’a plus de toit et le mobilier scolaire est disposé sous un épineux. Issyad se plaint de l’absence de soutien du gouvernement et nous lui rétorquons que faire un toit avec des lattes d’euphorbe et du banco n’est pas très compliqué pour ces villageois entourés d’une forêt ! Comme d’habitude, on dirait que tout est attendu de l’extérieur. Sur notre gauche, le massif de l’Aïr est long de 800 kilomètres. Vient ensuite le kori Anomokrarane aux nombreux bras. Le kori touareg c’est l’oued des arabes : une vallée sablonneuse où passent les eaux en saison des pluies. C’est très confortable pour dormir à la belle étoile. Souvent, les tentes nomades sont installées non loin. On devine l’école de Jikat sur notre gauche. Celle-ci marche très bien. Nous l’avions visitée en 98.
Nous arrivons à Tarenkit, complètement perdu dans la brousse, à la tombée de la nuit et nous installons dans une éclaircie de sable proche du campement. Tata est sur le point d’accoucher. Nous avons assisté à son mariage avec Mohamed en 98. Les filles sortent le « tendé », une peau de chèvre tendue sur le mortier, et commencent à chanter, petites et grandes mêlées. La chèvre est sacrifiée. Estelle plaisante avec Totem qui était son professeur de tifinar à Niamey. J’ai mal au dos. Je ne supporte plus d’être accroupie sur une natte. J’ai l’impression qu’une main de géante me torture les muscles situés sous les omoplates. Le plat de pâtes d’Ehambel est beaucoup trop épicé et plein de sable ! Il a cuisiné dans le noir…
Une soirée tam-tam est organisée en notre honneur. Les filles chantent toutes ensemble. J’essaie de rester debout pour soulager mon dos douloureux, mais on me fait signe de m’asseoir. Un Touareg du campement parle haut et fort, interrompt les chanteuses et hèle Jean-Marc. Nous apprendrons plus tard de cette grande gueule qu’il est guide touristique ! Tout à coup, les filles cessent de jouer et quelqu’un déclare que la soirée est terminée. Je m’en vais rapidement. Je me couche au pied d’une euphorbe géante, contre une paroi du kori et je commence à m’endormir lorsque la musique reprend ainsi que les bruits si caractéristiques des danseurs… Je me sens flouée. Je rêvais de revoir les danses traditionnelles.
Samedi 18 mars
J’ai la migraine au saut du sac de couchage. Je cherche de l’efferalgan dans la caisse à pharmacie. Plus un seul cachet ! Dès que nous apparaissons, nous les « icoufars », on nous signale les petits maux de tous les jours : migraine, mal au dos, mal à l’estomac, diarrhée… Et Jean-Marc passe ses journées à distribuer des médicaments ! S’il y a un prochain voyage, j’emporterai ma réserve personnelle, bien planquée dans mon sac.
Des oiseaux couleur scarabée trottinent dans le kori. Les euphorbes bruissent et au moindre souffle de vent leurs fleurs tombent.
Nous sommes en réunion pendant deux heures au pied d’un gros épineux, et toujours accroupis ou assis en tailleur. 146 familles vivent à Tarenkit situé à 100 kilos d’Arlit et d’Agadez.
Le problème de la pharmacie inexistante est abordé. EOT en crée une sur le modèle des trois qui fonctionnent déjà depuis le passage d’Estelle en août. Fatima et Hamidem Atini sont nommés responsables. Le prix de vente des médicaments est calculé de façon à laisser un petit bénéfice pour réapprovisionner les stocks. Alcool iodé et à 70, collyre argyrol, des sachets de sro pour la déshydratation, pénicilline, paracétamol, métronidazole, chloroquine, aspirine sont laissés. Le nom des médicaments est traduit en tamacheq avec leur mode d’administration. Par la même occasion Totem propose de noter les noms et les dates de naissance des enfants et ceux des morts.
L’Etat Civil n’existe pas dans les campements… EOT laisse donc deux cahiers et deux stylos. La matrone explique que, sur sept femmes qui viennent d’accoucher, six bébés sont morts ! Elle demande à l’association une aide spécifique pour le matériel. EOT préfèrerait que la matrone fasse une formation à Agadez…
La coopérative artisanale à laquelle nous avions laissé de l’argent pour sa création se porte bien. Alago Atini en est la responsable. Les objets fabriqués sont surtout vendus entre campements : bracelets, nattes, corbeilles colliers, gris-gris… Les femmes troquent également leurs réalisations contre des bijoux qu’elles revendent et aident les femmes des campements voisins à s’organiser.
Le « styliste » de Tarenkit arrive en retard à la réunion. Il tient boutique dans une des maisons de pierre qui longent la piste. Suit une visite pour voir les objets des femmes sous une hutte proche. La chaleur est torride. Malgré les regards suppliants, je n’achète rien. Je leur en veux car elles m’ont fait manquer le spectacle de danse.
Les heures chaudes de l’après-midi sont passées à l’ombre. Les gens du campement ont pris l’habitude de prendre de l’eau dans la réserve du Mercedes. Sans doute croient-ils qu’il y a là un puits… Nos réserves ont bien diminué lorsque nous partons pour la vallée de Tagora et désormais le véhicule est fermé à clef. Ehambel, comme d’habitude, prend la tête du convoi et nous abandonne. Issyad insiste pour que nous le retrouvions. Évidemment, s’il est en panne nous sommes bien utiles pour les réparations…
Nous traversons des champs d’alouettes, grosses plantes qui font des gousses, particulièrement appréciées par les chameaux pendant la saison froide. Des courges sauvages enlacent les arbres.
Nous savons que les pintades sont nombreuses dans ces parages et qu’elles se rassemblent au pied des arbres lorsque le soleil se couche, avant de passer les nuits perchées à l’abri des chacals.
- Ce soir, je vais vous tirer une pintade ! Ça changera de la chèvre… dit Issyad.
Ehambel tire, Issyad tire… Les pauvres oiseaux posés immobiles s’envolent indemnes ! Guilhem et moi sommes complètement écœurés ! Comment interpréter une telle vantardise ! Surtout de la part de combattants. Peut-on être un bon combattant et un mauvais chasseur !
À l’arrivée à Ekrarane, j’ai droit à un seau d’eau tiré du puits pour ma toilette. Désormais je suis devenue une experte et j’ai largement assez de cette quantité pour faire un shampooing et une bonne douche. Quel plaisir après cette journée de sécheresse.
Dimanche 19 mars
Nous sommes à 25 kilos de Tamazlar, capitale des lattes de bois en palmier doum. À ne pas confondre avec Tafadec où les cures d’eaux chaudes soignent les rhumatismes. Il y a là 150 familles et il faut savoir qu’une famille c’est une tente : soit quatre ou six personnes. Une réunion est prévue, mais Ehambel doit d’abord aller chercher Ikaw dans son campement éloigné. En les attendant, je fais le tour. « Tadent » fait des fruits jaunes que l’on pile pour en faire une soupe nommée « kandoui » et l’euphorbe s’appelle « terza ».
Akalawa, la femme du chef Oumana, souffre depuis quarante ans d’une vilaine maladie qui lui ronge la jambe. Je fais une photo à remettre à Jean-Da pour qu’il essaie de trouver un traitement.
La vieille école en banco fut en 95 une des premières créations du FPLS. La nouvelle en ciment est sur le point d’être terminée. C’est l’ONG Tilalt (aide en tamacheq) qui a fait un dossier soumis à la Coopération Française pour construire six nouvelles écoles dans l’Aïr, chacune dotée d’une classe en ciment, un dortoir, une cuisine, et un magasin en banco. Ces trois derniers éléments seront pris en charge par les habitants, la coopération ne fournissant que les matières premières.
Prévu au programme outre Ekrarane, Ikakalankagarane, Tegonout, Sikerat, Mazababou et Indigra.
La réunion démarre à l’arrivée d’Ikaw.
Une douzaine d’hommes participent. Ikaw est responsable de la pharmacie mise en place en août 99 par Estelle et Issyad au nom d’EOT. Il est également vice-président de l’association des parents d’élèves. Aspirine et antibiotique ont été vendus. EOT complète par un carton de sro et une boîte de paracétamol. Les habitants de la vallée de Tagora étant très dispersés, Akaw sera secondé par le chef Oumana, ceci afin d’avoir deux points de soins. Argirol a été mal supporté par certains. La matrone a fait une formation à Agadez. Elle a une caisse à sa disposition. Arlit est à plus de 100 kilos et les hôpitaux de la Cogéma sont bien équipés mais c’est si difficile d’y aller que l’accouchée se retrouve souvent au cimetière… Dans un campement proche, quelqu’un a un diplôme de secouriste.
Avec la matrone pourquoi n’envisageraient-ils pas un petit dispensaire ?
L’école est neuve, pourvue de matériel scolaire et d’un maître d’école, mais il n’y a pas de nourriture et les écoles nomades fonctionnent toujours en internat ! Les gens sont dans l’attente et n’ont pas encore pris de décision au sujet de l’alimentation. Tiro, Agadez et l’inspection ne font rien. C’est le même problème qu’à Anoun-Nagarof et dans toutes les zones habitées par les nomades et jusque-là desservies par le PAM : tout le département d’Agadez, le nord de Tahoua, Maradi, Zinder, l’est et l’ouest de Tilabéri. Ici, à Ekrarane, on ne manifeste pas.
- Les gens ont peur. Il n’y a pas si longtemps, les Touaregs étaient mitraillés… dit quelqu’un dans l’assistance.
Issina Adégi a une teinture sur le visage, destinée à le protéger du soleil. On l’appelle « tamazguit ».
Direction Anoun-Agarof par Amazine, le puits des géants, Ifocan et un morceau de goudron. Au campement, les enfants commencent à arriver pour la rentrée de demain, parfois accompagnés par leurs parents. Ils sont tous en partie rasés et je fais une photo d’une belle iroquoise. C’est une bonne idée, car le lendemain elle est complètement rasée !
Je me balade dans les dernières lueurs de cette journée. L’instituteur loge dans une toute petite maison en banco dont le toit est bien ajouré, avec sa jeune femme et son petit Mohamed d’un an. Il stocke également la nourriture pour ses élèves dans un coin de la pièce… La cuisine est un pauvre abri de branchage devant lequel se trouvent un foyer, des marmites et l’éternel mortier avec son pilon.
Le Mercedes se rend utile en tirant des troncs d’arbres abattus par l’ouragan. Sader a fait monter des tentes à notre intention, mais il fait si chaud que nous préférons dormir à la belle étoile. Le chef Sader a un maintien grave, des gestes toujours mesurés et ses yeux sont impressionnants sous le turban. « Les nomades, par contre, et les Touareg, me rappelaient l’Ancien Testament et je croyais voir les descendants d’Abraham et de Jacob », note Edmond Bernus dans Touareg, La Tragédie de Mano Dayak. C’est cela aussi que je ressens à la vue de cet homme grave. « Ce qui frappe au premier abord, c’est la noblesse du maintien, c’est une impression de droiture, que le Touareg soit à pied ou à dos de chameau. Cette noblesse, cette droiture, ce sont aussi celles de l’âme. On sent qu’on à affaire à des hommes différents, à certains égards exceptionnels, des êtres qui ne sont pas pollués par une civilisation matérialiste, qui ont conservé en eux comme une sorte de pureté originelle » note encore Bernard Stasi.
Les hommes arrivent pour rejoindre Issyad et parler longuement jusqu’à une heure avancée de la nuit. Chacun s’éloigne vers un endroit isolé.