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occitan-touareg

Voyage à Agadez : de Saint Remèze à Sikerat (suite 3)

22 Août 2013 , Rédigé par Pellet Jean-Marc Publié dans #Touareg-Niger-Agadez

« De Saint Remèze à Sikerat » (3) de Nicole Faucon-Pellet

Lundi 6 mars (2000)

Le « vieillard » terme respectueux (en tamacheq Amghar), frère du père d’Issyad, veut aller à la source chaude de Tafadec y soigner ses rhumatismes.

Je regarde d’un peu plus près les quatre tentes constituant le campement de Sikerat et nommées « zéribas » en tamacheq. Les tapis en palmier doum étroits et allongés servent à fermer le bas de l’habitat pour la nuit. Aicha et Mariam sont dites sœurs car « produit » de deux frères.

Tikijimit et Jchibril ont six enfants : Bouloulou, Mahamad, Kaka, Rissa, Mouminan et Nicole en souvenir de mon passage en décembre 98. J’offre à Aicha une poupée blonde aux yeux bleus qu’Evelyne m’a donnée au départ. Le contraste entre l’Européenne et la Touarègue est saisissant !

Nous allons ensuite au village où Mohamed Assadek l’instituteur, nous accueille avec sa femme Fatima et ses deux enfants Mohamed et Hawad.

La première réunion de l’Association EOT se tient dans le petit hall d’entrée qui servait autrefois de garage et qui est maintenant le point de rendez-vous. Il n’y a que six participants. Les plans de la nouvelle école fournis par Pierre Guigue sont longuement étudiés avant d’être abandonnés à regret pour des raisons techniques : les bois limités à quatre mètres, l’impossibilité de trouver un poteau central, le désir de faire vite… Il est donc décidé de construire une école classique en banco de 7 mètres sur 4. Les briques en banco reviennent à 10 centimes-pièce et les manœuvres seront payés 10 francs français par jour. Il est donc décidé de commander 4000 briques : de quoi construire la nouvelle école et restaurer l’ancienne. Les manœuvres seront choisis dans des campements différents pour assurer une participation active de toute la vallée de Sikerat. Le maçon sera payé 20 francs par jour.

Pelle, pioche et tonneaux achetés à Arlit sont déchargés ainsi que les moules offerts par Jean Ivanez de Valaurie.

L’ancienne école sera restaurée grâce à une collecte des parents d’élèves. Jean-Marc insiste sur le fait qu’il faut entretenir les bâtiments et que quelques journées après la saison des pluies sont suffisantes pour maintenir un bon état des lieux. Les Touaregs remercient pour cette information : ils commencent juste à se sédentariser et ne sont pas des bâtisseurs.

Nous visitons l’ancienne école dont les murs sont ajourés de trous bouchés par des nattes en palmier doum laissant pénétrer les oiseaux et la lumière. On voit le ciel à travers le plafond et un troupeau d’ânes squatte parfois la salle de classe ! La rentrée des classes n’a pas encore eu lieu comme dans presque tout le pays.

Trois caisses de matériel scolaire et trente tee-shirt peints à la main (cadeau de Claude Bonjour) sont donnés à Mohamed.

Le troupeau scolaire composé de 11 chèvres, 7 cabris et 2 boucs est complété par 10 nouvelles chèvres de la part d’EOT.

Visite du jardin d’Issyad où l’on distribue les graines offertes par Gisèle Charmasson : tomates, potirons, épinards, blettes, poireaux, pastèques… Remise d’un flacon de Dimilin Flo, produit destiné à arrêter la mue des termites qui font beaucoup de dégâts dans le jardin en mangeant les racines des arbres et des légumes. Les explications sont traduites en tamacheq au jardinier et le procédé paraît simple : il suffit d’imbiber des bâtons de produit et de les disposer sur la trajectoire des termites.

Dans l’après-midi, nous partons pour Agadez. Il y a deux heures de route et la chaleur est écrasante. Une visite chez Guichène qui est parti en pèlerinage avec Mohamed Anacko. En sortant de chez lui, nous rencontrons un autre Mohamed, Mohamed Tanchaichou, qui nous propose de loger chez lui. Sa maison est dans le même quartier. Nous avons trois chambres et la possibilité de nous laver. Le repas est préparé par les femmes de Guichène et servi à domicile. Nous attendons Estelle et Adiza qui arrivent dans le petit Toyota d’Issyad avec quatre autres personnes. Six dans ce véhicule pendant mille kilomètres, c’est un record à nos yeux d’Européens habitués à gaspiller les places de nos voitures.

Mardi 7 mars

Moktar, Ousmane, Marjeroul, Lala, les tantes, les cousines, les cousins défilent perpétuellement. Avec Adiza, Estelle et Guilhem, change à la banque puis achat de cartes postales, timbres et recherche de bijoux pour les femmes de l’Association Entraide Occitano Touarègue. Estelle nous conduit à la coopérative artisanale.

Dahouel est un homme très connu et sa fille Adiza accueillie à bras ouverts. Il faut dire que Dahouel Ackoli est le créateur de cette coopérative où 1087 artisans sont groupés pour défendre leurs intérêts financiers et moraux. Mohamed Ewangayé est le responsable régional et c’est mon intellectuel préféré. Je l’ai déjà rencontré en 98 à Agadez et je peux l’écouter parler des soirées entières sans me lasser. Il y a là des boîtes en talc, des bijoux en argent et en nickel, avec du gypse ou de l’agathe rouge, verte ou noire, les croix de l’Aïr, les épées traditionnelles dites « takouba », des pochettes en cuir, des porte-clefs, des corbeilles en palmier doum, des babouches…

Guichène ne rentrera que demain, mais ses filles ont confectionné un délicieux repas servi à domicile sur les tapis. Bien sûr, tout le monde mange dans le même plat. Les crudités sont particulièrement appréciées après les éternels féculents du voyage et la sauce très épicée de Lala lui vaut des compliments. En voici la recette : faire revenir la viande de mouton avec les oignons et deux cuillerées de sauce tomate. Ajouter les petits pois, pommes de terre, carottes, petits poivrons verts, ail et une épice nommée « yagitan ». À servir avec le riz ou les pâtes.

Issyad préfère quitter cette maison pour s’installer chez Ibrahim, dans un quartier lointain. Ibrahim notre chauffeur de 98, un petit bonhomme toujours calme partage sa maison avec Sergent. Ibrahim est souvent nommé Cherif. Je demande des explications, mais personne ne peut m’en donner. Et je trouve dans le livre d’Edmond Bernus ceci : « Le Cherif, c’est le marabout instruit en arabe, l’alfaqui qui se dit descendre du Prophète. Ainsi est-il présenté par une femme pauvre de l’Ahaggar, en reconnaissance d’une aumône reçue ».

Nous déménageons puis retournons à la coopérative des artisans pour les ultimes négociations. J’achète pour 100.000 CFA de croix, bracelets et boucles d’oreilles pour l’association. Nous faisons là aussi nos achats pour la famille et les amis. Guilhem craque 500 francs puis troque sa montre contre un gros gris-gris en argent, un porte-monnaie touareg, des croix et une bague… Il se fait avoir, mais il faut lui pardonner : c’est la première fois. Moi, j’achète cinq boîtes en mamelles de chamelle, un collier pour Simone, dix porte-clefs (soit 225 francs) et sur le chemin du retour un morceau de tissu 7500 CFA pour faire une robe. Le tailleur prend mes mesures et me fait une espèce de sac dans lequel je flotte et dont la façon reviendra à 6000 CFA avec un ensemble pour Estelle. Bien sûr ce n’est pas cher, mais ce n’est pas portable…

Le soir il y a une soirée « guitare » dans le quartier. Nous sommes tous invités, mais Estelle nous laisse entendre que ces festivités s’adressent surtout aux jeunes. Nous restons « à la maison »…

Mercredi 8 mars

Le chef Sader du campement d’Anoun-Agarof est là (à Agadez) avec l’instituteur Brayam Akwal.

Après le thé, nous discutons. L’école n’est plus sous la houlette de l’inspection franco-arabe. Suite à un courrier du chef, elle est à nouveau dans la mouvance française. EOT peut donc à nouveau travailler à Anoun-Agarof. Jean-Marc demande photocopie officielle du changement. C’est bientôt la rentrée et l’inspection de Tirozérine n’a toujours pas fourni de vivres pour l’école nomade. D’habitude elle distribue l’alimentation fournie par le Programme d’Alimentation Mondiale. Ce dernier a prévenu l’Etat Nigérien de sa cessation d’activité en 2000, mais l’information a été tenue cachée. Les parents d’élèves ont cotisé à raison de 150 francs par famille pour pourvoir aux premières nécessités : la nourriture. En effet, les enfants de nomades sont tous internes. L’inspection arabe est partie en emmenant le mobilier scolaire. Il reste actuellement quelques règles, une boîte de craies et deux ou trois livres pour l’enseignant. Les deux hommes vont acheter quelques sacs de riz et de mil et dresser l’inventaire des besoins qu’ils nous remettront dans quelques jours. La pièce est bourdonnante de mouches et de poussière car un vent de sable s’est levé. Les deux représentants d’Anoun-Agarof sont vêtus de djellabas assortis à leur chèche. Issyad explique la nécessité d’une participation des villageois. « Il ne faut pas donner des sardines mais apprendre à pêcher ! » Pour des Touaregs, étranger à l’eau, la comparaison est bonne…

Issyad part ensuite rencontrer les chefs de la base militaire de l’UFRA (Union des Forces Rebelles Armées) où nous devons aller cet après-midi.

J’en profite pour regarder Adiza et Marjeroul faire le repas pour la tribu. La cuisine est située à l’arrière de la maison. C’est une petite pièce obscure et sans gazinière. La cuisson se fait dans un coin sur un feu de bois. Il n’y a pas de cheminée d’évacuation et la fumée est telle que je ne peux pas rester dedans. Sur un des foyers composé d’un cercle métallique mijotent les oignons revenus dans l’huile d’olive, la viande avec les tomates fraîches coupées en morceaux, sel, poivre, eau et l’éternel « yajitan ». Pommes de terre, carottes et magic cube sont rajoutés au dernier moment. Dans une autre marmite bouent ensemble pommes de terre en robe des champs, betteraves rouges, petits pois emprisonnés dans un plastique et œufs.

Les légumes sont ensuite épluchés et coupés menus dans un grand saladier. Adiza ajoute du chou vert coupé en lanières et des oignons blancs. La sauce est faite avec de la mayonnaise, de l’huile d’olive et une pincée d’une épice pilée nommée « alquemoun ». Je donne un coup de main entre deux questions et entre deux photos. Deux pintades qui servent de réveille-matin picorent les restes d’épluchures. La maison est grande et les gens sont dispersés un peu partout : dans les deux salons, dans les chambres, à l’ombre d’un eucalyptus… Je vois toujours des têtes nouvelles. Les hommes ne font rien. Adiza et Marjeroul apportent les plats dans le grand salon et séparent l’ensemble dans plusieurs plateaux afin de servir les trois groupes composés. Les participants s’installent en tailleur et piochent dans le plat commun.

Estelle s’étonne de me voir toujours écrire. Il est vrai que mon cahier ne me quitte pas. C’est un vrai plaisir pour moi de noter mes impressions et toutes les choses que j’apprends. Je prends très mal sa réflexion et me replie dans le silence.

Départ à la base de cantonnement (Monts Bagzane) à deux voitures : le Toyota d’Issyad mène la danse suivi par le Mercedes. Trois heures et demie de route par quelques très beaux villages de huttes, Tint Aborak et Attri, un plateau lunaire et la traversée de nombreux koris. Nous franchissons une barrière gardée par une sentinelle : c’est le début de la zone gardée. Je suis repliée sur moi-même et je saute le « téguila » et la soirée bivouac pour m’isoler au pied d’un épineux avec un bouquin.

à suivre...

Trois heures et demie de route par quelques très beaux villages de huttes, Tint Aborak et Attri

Trois heures et demie de route par quelques très beaux villages de huttes, Tint Aborak et Attri

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