Voyage en pays Touareg, de Tamanrasset à Gabès (9)
Mercredi 29 mars 2000
Le lendemain, « Jo » Ejalaw lui aussi natif d’Aman Tadent fait le thé. Ce Touareg a un sourire comme je n’en ai jamais vu, enjôleur, charmant, gentil. Nous prenons ensemble le petit-déjeuner et Issouf m’apprend qu’il a écrit L’Imzad (le violon) en collaboration avec un ami. Ils ont soumis le manuscrit à une française nommée Irlande qui l’a publié sous son nom ! Nous décidons de travailler ensemble. Il doit m’envoyer des histoires, contes, textes de réflexion… que je travaillerai et j’essaierai de trouver un éditeur. Inch Allah…
Jo demande aussi de l’aide pour son campement. Jean-Marc lui demande d’envoyer un dossier à EOT.
Nous quittons Tam à huit heures en possession d’oranges, les premières depuis un mois. Direction In Sallah.
Quelle révolution géologique s’est tramée dans les entrailles des environs de Tam ? Des massifs obscurs disposés comme les pommes sur un gâteau de pâtissier, un peu de sable au pied des falaises abritant des tamaris et des euphorbes, à nouveau les à pics de granit. Des paysages qui laissent pantois. Bientôt le kori devient oued. Les sommets s’adoucissent vers Im Anguel, à cent trente kilomètres, où nous affrontons notre premier contrôle de la journée. Le second a lieu à l’entrée d’In Ecker. La piste d’Amguid est à droite à 180 kilomètres de Tam. Jean-Marc voulait l’emprunter à l’aller, mais on nous l’a déconseillée car trop isolée.
À midi on est à 280 kilomètres de Tam et le désert de sable laisse à nouveau la place aux massifs nus. Tout à coup, un nid d’autruche vu trop tard pour l’éviter, et quelques minutes après une odeur de gasoil.
Le réservoir vient de se détacher ! Guilhem et Jean-Marc dépannent en une demi-heure pendant que je ramasse un caillou blanc un peu veiné d’ocre.
À 230 kilomètres d’Arak, un contrôle de l’armée, puis le quatrième contrôle de gendarmerie. Les arrondis désertiques frôlés par la lumière sont vert-de-gris, noirs, verts avec des traînées ocre, comme saupoudrés d’une lumière particulière. Avant In Sallah, les dunes sont orangées ou coquille d’œuf. Un cinquième contrôle de l’armée cette fois. La chaussée devient mauvaise. Un camion transporte des chamelons. Puis c’est la steppe à une vingtaine de kilomètres d’In Sallah.
Nous arrivons à 6H30 ; soit 10H30 de route ! Arrêt à la gendarmerie où nous revoyons le commissaire, et lui expliquons que nous voulons repartir demain à la première heure et sans convoi. Il nous donne rendez-vous le lendemain pour les formalités d’usage. Ensuite, direction le camping où l’on nous refuse en prétextant l’absence de sécurité. Nous retrouvons donc « notre » Camping Restaurant du Hoggar où nous nous sommes déjà arrêtés au début du mois. Le jeune incapable bavard qui nous avait accueillis la première fois n’est pas là ; cette fois c’est le patron qui nous installe et nous montre les douches à l’eau chaude que l’autre idiot n’avait pas jugé utile de nous signaler.
Jeudi 30 mars
Le sermon de l’imam diffusé par haut-parleur nous réveille en fanfare. Niveau d’huile, plein de gasoil avec les jerricans, rangement, petit-déjeuner puis visite du jardin du Restaurant du Hoggar où le patron nous montre les dattiers mâles à fleurs et les femelles à fruits. On décolle à neuf heures pour le poste de police. Aoulef est à 170 kilomètres. Au programme aujourd’hui : d’In Sallah à El Mémia dite aussi El Goléa, soit 396 kilomètres par le plateau du Tademaït.
À la police, on nous dirige vers la gendarmerie après moult questions de curiosité et de nombreux serrements de mains… Dans la cour de la gendarmerie, des petits carrés de blé, des tamaris, des tournesols et du fenouil en fleurs. Sous le sourire goguenard des plantons, on veut nous renvoyer à la police. Jean-Marc élève le ton : on est prisonniers ! Vous affirmez qu’il n’y a aucun problème dans votre pays, alors laissez nous partir ! On vient d’In Guezzam sans escorte, je ne vois pas pourquoi il nous en faudrait une ici ! Les formalités semblent alors se mettre en route et à 9H45, on s’achemine vers le poste à la sortie de la ville, à 9 kilomètres, les gendarmes nous ayant affirmé qu’on nous laisserait passer. Impossible de passer le barrage ! Nous devons retourner à la gendarmerie malgré nos tentatives de négociations ! À dix heures, nous sommes de nouveau à la gendarmerie qui nous renvoie au commissariat. Apparemment, un conflit oppose ces deux clans et nous en faisons les frais sans parvenir à comprendre. Le commissaire donne finalement l’ordre de nous laisser partir ! Le jeu de balles est terminé ! Je remplis une bouteille de sable au bord de la route. Quelques plateaux comme des flans démoulés, puis c’est monotone jusqu’à la grande montée. L’oued Rejem, puis Ain El Hadjoj. En haut du col, contrôle de l’armée : passeport, papiers de voiture et permis de conduire. Après 100 kilomètres de bonne route à la sortie d’In Sallah, c’est la piste et le fech-fech sur 70 kilomètres, puis des lignes droites monotones bordées d’un désert noir et vide, souvent nommé désert du pétrole. C’est voilé. Il y a du vent et la poussière de sable vient s’accumuler dans le moindre creux et contre le plus petit obstacle faisant ainsi naître de futures dunes.
Nous arrivons à 4H30 pour le rituel contrôle d’entrée puis le passage à la gendarmerie de la ville d’El Goléa. Il y a une grande palmeraie et les filles portant toutes foulard et blouse sortent du lycée. Nous roulons devant le bâtiment de la police lorsqu’on nous siffle : rebelote pour un contrôle.
Les hommes portent tous des moustaches arrogantes. Ils ont l’air fiers, hypocrites. Ils sont curieux, petits, maigres, mal fagotés, mauvais, méchants, imbus de leur personne et prêts en toutes circonstances à abuser de leur pouvoir. In Sallah et El Goléa détiennent le record de la tracasserie avec leurs luttes intestines entre police et gendarmerie. Jean-Marc reste une heure dans les locaux de la police pendant que nous l’attendons Guilhem et moi dans le Mercedes !
Nous retrouvons enfin l’hôtel El Boustan où nous avions sympathisé avec Terzi Voussad, le gérant. Nous l’invitons pour un verre en ville et il hésite à nous rejoindre, pour finalement refuser. Sa situation très contrôlée ne lui permet pas de fréquenter des clients En allant au bar, nous traversons un quartier avec des jardins où embaument les orangers en fleurs. Une odeur inoubliable. Terzi passe nous prendre et nous emmène chez son amie Mériem pour une soirée couscous improvisée. Cette ancienne prof de français dirige aujourd’hui un atelier de confection et tissage où elle accueille une soixantaine d’élèves ayant échoué au bac.
Dans sa maison, près d’une grande terrasse, dans la pièce des invités, elle nous sert un couscous digne d’un grand chef. Très religieuse, elle nous explique le déroulement des mariages, de la circoncision et la vie des femmes algériennes. Elle fait le bien. Appelée en toutes circonstances : toilettes mortuaires, visite à l’hôpital, organisation des fiançailles et des mariages… Mariée à quatorze ans, elle est aujourd’hui grand-mère. Elle me propose de m’accueillir pour des vacances et de faire des reportages sur la vie de tous les jours à El Goléa. Elle parle beaucoup de Dieu et dit souvent « Abdula » (merci à Dieu), le pendant de « bismila » (bon appétit). L’espace de cette soirée, j’oublie que je suis en Algérie. Bien entendu, nous échangeons nos adresses et je suis chargée de lui envoyer une pierre noire censée soigner les piqûres de scorpions nombreux en été là-bas. Mériem s’est fait elle-même piquer plusieurs fois au cours de sa vie sans rien ressentir de particulier. Depuis, elle est devenue en quelque sorte une sorcière.
Terzi nous raccompagne à l’hôtel El Boustan et nous raconte sa vie au pied du palmier géant âgé de cent cinquante ans !
On lit l’âge de l’arbre au nombre de coupes effectuées et le vertige nous saisit lorsque nous levons la tête vers son sommet. Le kabyle parle très vite et j’ai des problèmes pour suivre le déroulement de son histoire.
Vendredi 31 mars
Levés aux aurores, nous prenons notre petit-déjeuner dans la grande salle à manger aujourd’hui désertée. Évidemment le tourisme dans ces régions n’est plus ce qu’il était. Les canalisations sont souvent bouchées, les carrelages défoncés, les fils électriques à demi dénudés courent sur les murs… Au moment de payer la chambre, le réceptionniste veut encaisser une chambre triple alors que nous avons utilisé une chambre double.
Nous avons changé la veille car les prises électriques ne marchaient pas et le planton de service n’a pas noté le changement.
Quelques minutes perdues pour régler ce problème, puis sur la route du départ nous rendons visite à l’atelier de Mériem. Je lui achète deux coussins tissés et elle m’offre une pochette tandis que je lui donne les derniers cadeaux en ma possession : dés et aiguilles à coudre et petits porte-monnaie pour ses élèves. Nous nous promettons encore une fois de nous écrire et nous la laissons à son rendez-vous pour une toilette mortuaire.
À 7H30, nous sommes dans la file de voitures et camions à la sortie d’El Goléa. La colonne avance lentement. Nous piétinons une heure puis vient notre tour et nous sommes expulsés vers le commissariat. Marche arrière vers la brigade accompagnée par un gendarme. Le FIS a abattu 25 personnes le mois dernier : cela justifie les barrages pour les touristes. Les militaires vont donc nous escorter. Ils se préparent pendant que nous assistons muets à ce drôle de spectacle. Départ à neuf heures avec trois véhicules. L’un crève et doit d’abord réparer. 16 militaires avec gilet pare-balles et mitrailleuses prennent alors place dans les trois lands verts et blancs ! Ils nous escortent à bonne vitesse jusqu’à Hassi Fahl distante de 150 kilomètres et font demi-tour sans un mot ni une salutation pour nous abandonner au poste de gendarmerie ! Il est 10H45. Vingt minutes de contrôle puis un bout de route et un nouveau barrage à midi. Je remarque l’oued Seb-Seb qui traverse la route. À midi et demie nous sommes au carrefour Gardhaïa-Ouargla et nous atteignons cette dernière à deux heures de l’après-midi. Les barrages et les contrôles se raréfient et nous atteignons Touggourt sans voir l’ombre d’un uniforme. Une tempête de sable nous force à ralentir le rythme.
« Dans le désert, avait ajouté le Hadramaouti, il en va autrement. Quand la tempête se lève, il faut impérativement s’arrêter et faire baraquer les chameaux. D’eux-mêmes, ils plaqueront leur tête au sol. L’homme n’a plus alors qu’une chose à faire : se blottir contre le flanc des bêtes. » Gamal Ghitany : L’Appel du Couchant.
De leurs stands de roses des sables après Touggourt, les vendeurs nous hèlent. Hadjira est à gauche et Blidet à droite. Les paysages de dunes au soleil couchant sont magnifiques. Les palmeraies sont souvent dans les creux délimités par des barrières végétales que grignotent les tempêtes de sable.
De magnifiques puits aux toits allongés semblables à des bories miniatures sont au bord de la route près d’El Oued ; nous y arrivons à 7 heures et trouvons une chambre triple pour 75 dinars. Krimo qui tient boutique à côté de l’hôtel nous guide jusqu’à nos appartements et nous donne rendez-vous pour un moment dans la soirée. Des robinets coule de l’eau brûlante. Renseignements pris, une société a fait des forages à la recherche de pétrole et a trouvé de l’eau chaude dont elle alimente la ville ! Les gens ont donc dans leurs jardins des citernes pour faire refroidir l’eau !
Nous retrouvons Krimo qui est instituteur de son état et commerçant à ses heures perdues.
Il nous offre à chacun un gros sandwich bourré de merguez, de patates frites, d’un œuf et d’harissa. C’est délicieux bien qu’accompagné de l’éternel coca cola et de thé à la menthe. Krimo veut tout savoir de la France qu’il connaît un peu et où vivent quelques membres de sa famille. Nous échangeons nos adresses et son père nous propose de nous héberger quelques jours.
L’hôtel de « La Belle des Sables, L’Or Noir » géré par la société algérienne possède un beau patio avec une fontaine d’eau chaude que les plantes paraissent bien supporter et une entrée directe vers le hammam ! Lorsque tout le monde est parti et que l’entrée extérieure est fermée, nous en profitons tout notre saoul. Quel délice !
Passée la longue salle de détente où des nattes invitent au repos, il faut déambuler jusqu’à la salle chaude par une autre pièce intermédiaire jusqu’à la salle principale. De petites vasques en pierre sont situées tout le tour de la pièce pleine de vapeur et nous faisons notre mélange avec les robinets d’eau chaude et froide. Au centre de la pièce, une table carrelée de faïence, sans doute destinée à s’installer pour la séance de henné ou le massage au gant… Malheureusement, les lieux sont très mal entretenus et c’est dommage.
Samedi 1° avril
Avant de quitter la « Belle des Sables » nous visitons en compagnie de Krimo l’établissement dont l’imposante terrasse domine la ville. Nous partons à 9 heures et nous nous perdons dans le dédale des ruelles où tout est écrit en arabe. Miracle : les gendarmes sont indifférents à notre présence !
Délibéré est à dix kilomètres et Tozeur à 130. Nous traversons Hassi Khalifa dont toutes les maisons ont des toits à coupelle qui favorisent la glissée du sable en évitant les fuites. Là encore, les palmeraies de petite taille sont situées dans les creux et seule la cime apparaît. Le vent monte à l’assaut des clôtures dont il ne dépasse qu’un toupet en arrondi. Un bon photographe ferait avec ses courbes de beaux clichés. Nous atteignons Taleb Larbi à onze heures. Cinq minutes plus tard, nous sommes au poste frontière pour une heure de démarche. Un scribouillard remplit les papiers pendant qu’un autre le surveille en lisant par-dessus son épaule ! Visage ridé, maigre, à l’affût de la faute, la scène m’amuse.
Nous arrivons à Hazoua à midi. Encore trois quart d’heure de paperasserie avant d’entrer en Tunisie. Nous devons payer un dinar à la douane tunisienne. Guilhem retrouve une mine détendue, passée la frontière algérienne.
Nous pique-niquons sous les palmiers et sitôt installés, un jeune adolescent s’approche et nous regarde manger, sans bouger. Je lui propose un morceau de pain qu’il refuse. Il ne nous quitte pas des yeux pendant tout le repas avalé pour la circonstance à toute allure !
Direction Gabés et la mer. D’abord Nefta, Tozeur, Bagache, Saba, Abar, Bouhel et la fin d’une très belle palmeraie. C’est le désert à nouveau pendant 73 kilomètres en direction de Kebili puis le désert de sel où quelques ginguettes vendent des roses des sables colorées sur le Chott El Jerid.
Les palmiers sont de retour à Souk Lahad. La chaîne de montagne à gauche avec Tombar, Telmine et ses très vieux palmiers ombrageant la route. Nous atteignons Kébili à 3H30 franchissons un col dans la montagne puis filons par Limagues et ses jeunes plantations de palmiers et Radouan.
À 5H30, nous sommes à Gabés. Cette ville est environnée d’usines et paraît pourtant assez touristique. La cité est grande et la mer glaciale. On s’éloigne par Bouchema, Methouia, Amarat, Akarit, El Mecha… Les oliviers apparaissent et les palmiers se raréfient. À Bou Saïd, le blé est mûr. Jean-Marc sélectionne Skhira sur la carte et nous y arrivons au coucher du soleil pour chercher un hôtel ou un camping. Nous interrogeons les gens et trouvons une chambre pour 13 dinars par personne. C’est beaucoup trop cher. Nous repartons en quête d’autre chose lorsque Ajmi que nous avons rencontré tout à l’heure au bord de la route nous rejoint pour nous proposer le couscous et la nuit chez lui ! Il nous emmène chez son amie Saïda qui nous installe pour la nuit. D’abord le couscous, élaboré avec des légumes de saison et dont je note la recette. Un peu d’huile au fond de la marmite, des petits pois, des fèves et quelques morceaux de viande de mouton. Deux cuillerées de sauce tomate, une d’épice, poivre et sel. Saïda ajoute un peu d’eau et laisse bouillir à gros bouillons. Carottes et navets grossièrement coupés sont ajoutés dans un deuxième temps avec un peu de poudre de poivron. La graine de couscous est mouillée avec un peu d’eau et d’huile puis déposée sur le couscoussier. Pommes de terre et courgettes sont ajoutées au dernier moment. Un quart d’heure avant la fin, Saïda incise des poivrons verts, les saupoudre de sel, les jette sur la préparation et arrête le feu. La graine est vidée dans un saladier, légèrement retournée, arrosée de sauce et laissée au repos cinq minutes. Il reste à ajouter légumes et viande et à servir.
Saïda a cinq enfants dont deux grandes filles : Emma et Iméne, deux garçons : Abdel et Sami et la petite dernière : Islem. Meftan travaille à la compagnie pétrolière toute proche et ne rentre qu’à onze heures. La télévision braille jusqu’à une heure tardive gênant les discussions. Je suis fatiguée. Ici, c’est plus confortable, mais je regrette la température nigérienne. J’ajoute un pull et des chaussettes. Nous sommes dans une famille bourgeoise dont la maison est très semblable à nos maisons européennes : cuisine intégrée, salle à manger avec les napperons amidonnés… Seuls quelques meubles témoignent que nous sommes sur un autre continent. Je m’endors avec le bruit de la télé.